Du 06 au 15 novembre 2015
Aix-en-Provence
DIGITAL HOMO LUDENS
« Le jeu est une tâche sérieuse »
Pour Johan Huizinga, historien néerlandais auteur de “Homo ludens”, le jeu est l’essence de toute culture, seul l’élément ludique rend possible l’existence d’une authentique civilisation.
Aujourd’hui le phénomène global de ludification de nos sociétés agit sur l’apprentissage, sur la consommation et sur nos modes de vie. Cette ludification portée par l’avènement des technologies numériques a rendu les frontières de plus en plus poreuses entre les jeux vidéo, leurs mécanismes et “nos vies” au travers de domaines aussi variés que la publicité, l’architecture, la mode, la médecine et l’art.
Comment le transfert des mécanismes du jeu influence-t-il notre bon vouloir ? Le jeu serait-il un objet de pouvoir caché, aliénant notre libre arbitre ?
L’industrie des jeux vidéo a contribué avec son développement à l’émergence et la diffusion de nouvelles interfaces technologiques permettant de faire évoluer les claviers et souris vers une relation où le corps humain et ses mouvements sont l’interface. Les différents systèmes de commandes (Wii mote, Kinect, Leap motion, oculus…) utilisent des technologies de pointes, qui étaient jusque-là réservées à l’usage scientifique et à la recherche et qui sont devenues des biens de consommation.
Ces nouvelles interfaces, accessibles à tous, ont inspiré des nouvelles générations d’artistes impliqués dans des réseaux travaillant de façon ludique et spontanée avec ces technologies de masse participant ainsi à la création d’une nouvelle espèce humaine le “Digital homo ludens” qui transforme ces produits en outils de création.
Comment ces interfaces originales orientent-elles les relations homme/machine?
Propulsée par différents complexes militaro-industriels, l’industrie des jeux vidéo nous propose souvent une vision du monde orientée, produisant du divertissement à bas coût. On peut dès lors, émettre l’hypothèse que le jeu vidéo est aujourd’hui devenu ce que Guy Debord dénonçait à propos du “spectacle” “un des “'appareil de propagande de l'emprise du capital sur nos vies”.
Ces espaces virtuels et technologiques sont devenus des territoires à conquérir et à investir artistiquement afin de défendre une certaine “souveraineté technologique” comme définie par Alex Haché. La technologie issue des jeux vidéo offre une “manne providentielle” d’outils et de modes de création pour les artistes. Cette trousse à outils est en évolution permanente, elle rend accessible et utilisable un certain nombre de moyens hardware et software à des fins artistiques.
Les artistes qui s’en emparent, transforment alors ce média de masse en l’utilisant à la création d’un nouveau langage. En effet, la “souveraineté technologique” est ici synonyme d’une forme d’indépendance technologique que les artistes mettent en œuvre dans leur pratique. A l’instar de la plupart des média artistiques, le détournement de ces technologies représente une possibilité d’apprendre et de construire son propre monde. Ce désir de compréhension accompagne une volonté artistique de réappropriation du devenir technologique de nos sociétés.
Ces artistes mettent en évidence et critiquent l'influence que peuvent avoir ces mécanismes sur nos vies, à l’inverse du techno-positivisme dominant, valorisant ses différentes propriétés curatives, éducatives, sportives… .
Les œuvres et installations présentées lors de cette édition sont “contextuelles” au sens de Paul Ardenne, elles font émerger des pratiques et des formes artistiques inédites aux capacités transformatrices révolutionnaires. L'artiste devient un acteur social impliqué, souvent perturbateur. Le statut de l’œuvre d'art se transforme et propose des problématiques plus que jamais en relation avec le monde actuel dépassant le simple fait de l’interactivité. La créativité et l’imagination liées à l’univers du jeu se déploient dans les installations artistiques exposées pour cette 11ème édition du festival. Ces installations reflètent l'émergence et le développement de communautés, de réseaux, de nouveaux lieux de productions et de diffusion dans lesquels la créativité artistique vient épouser des envies de partage, de liberté et d’utopies.
La dimension du jeu (Homo ludens) couplée aux technologies digitales permet de questionner le devenir de l’homme au-delà des dimensions de connaissance-savoir (Homo sapiens) et de travail (Homo faber).
Cette 11ème édition du festival GAMERZ réunit les productions de 40 artistes internationaux qui jouent et tendent à se réapproprier ces nouveaux univers et leur développement.
Le festival place cette année sur le devant de la scène des créations qui ne sont actuellement que partiellement archivées et peu diffusées, offrant un panorama de ces nouveaux dispositifs artistiques en filiation avec l’univers et les technologies des jeux vidéo. Le festival proposera au public une immersion dans le travail de ces artistes, à travers le prisme de cette nouvelle espèce : le Digital Homo Ludens.
Quentin Destieu